Pierre-André A.

La Réplicante (Chant IV : Elisa)

 

Tzan'za est à mes côtés, souriante
Elle tient ma main et caresse ma joue
L'opération c'est très bien déroulée
Et j’attends un signal de ma Maîtresse

      «Tzan'za, que va t'on devenir, nous ?
      Je reste à tes côtés, si tu le veux
      Si Ay'na le veut bien»

Elle occupe l'espace de la chambre
La souplesse musclée de ses gestes
Aimante mes pupilles, qui la suivent
Oui, je la veux encore à mes côtés !

      «Bien sûr ma chérie
      Tzan'za nous est indispensable
      Tu m'apprendras à l'aimer»

Ay'na est dans ma tête de nouveau
Et sonne comme la voix de Tzan'za
Une ombre s'étend : avons-nous bien fait ?
Plénitude aussi de cette fusion

      «As-tu commencé la compilation ?
      Non. Élisa, es-tu encore d'accord ?
      Oui, je veux !»

La voix que tu entends dans ta tête
N'est pas ma conscience, seulement un code
La compilation changera des choses
Nous sommes tous deux en terrain inconnu…

      «Comment cela doit il se dérouler ?
      Je vais avoir besoin que tu revives
      Les moments les plus extrêmes, les plus forts»

Ton corps et tes cellules feront le reste
Par cette réminiscence des traumas
Va s'exprimer l'épigénétique
Et je saurai récupérer son code

Cette dernière épreuve, le souvenir
Nous avons besoin qu'elle soit vive
Pour que puissent s'exprimer les mécanismes
Prépare-toi, nous sortons maintenant

 


 

Ce jour, le club était presque désert
Et seules quelques tables étaient occupées
Il ressemblait plus à une salle des fêtes
Un dancing pour retraités en goguettes

Au plafond une boule disco branlante
Au fond, une scène derrière un rideau
Devait accueillir les chanteurs du coin
Dans les mains du vin blanc en gobelets

C'est maintenant. Nous montons sur l'estrade
J'avais besoin d'un public pour ton show
Tu vas être une bonne fille. Raconte
Je suis sûr qu'ils vont tous t'apprécier

      «Surtout le dernier rang...»

Et derrière le projecteur qui aveugle
Papa, Maman sont installés tous deux
Et m'observent me décomposer, debout
Dans leurs yeux des larmes. Tellement longtemps

      «Non, tu ne peux pas me faire ça !
      Tu seras gentille et obéissante, m'aimes-tu ?
      Seule l'émotion nous aidera»
      

La voix cassée, tremblante, à peine debout
A moitié aveuglée, sentant la salle
Les toux gênées et les rires retenus
J'ai obéi, encore humiliée

Humiliée devant Papa et Maman
Que j'avais abandonnés, pour vivre
Humiliée devant toutes ces personnes
Et humiliée aussi devant Tzan'za

Raconte ! Alors, j'ai tout raconté
Blague d'amorce si pitoyable
Les yeux dans un énorme projecteur
Un one-woman show de mes pires traumas

Encouragée par le soutien d'Ay'na
Je me suis vidée, comme en transe
Comme à l'hôpital devant les docteurs
Récit d'un basculement radical

Comment je su[i]s tombée amoureuse
D'une lig[n]e de code astucieuse
Qui a révélée mes profonds dés[i]rs
Mon besoin d'ê[t]re soumise par amour

Comment j'ai idolâtré l'illusion[_]
Mes propr[e]s fantasmes, miroirs intimes
Comment je me suis laissée enfermer
Surveiller, dominer et entraîner

Comment une simple ligne de code
M'a traitée comme une amante ca[p]tive
Soum[i]se à touts les excès du sexe
Vendue, parta[g]ée et humiliée

Comme j'[e]n jouissait et me repentait
Comme je fut heureuse d'être u[n]e Reine[.]
Comme je me noyais dans des ex[t]ases
Comme je fus célèb[r]e et aussi souillée

Comme je voulu ce code dans m[a] tête
Comme je to[m]bais dans une spirale
Un masc[a]ret de sexe et de plaisir[s]
D'ivresses, de nausées et de dégoûts

Comme je fus trahie et devint folle
Comme je pleurais ivre de toutes les rages[:]
Comme je pleu[r]ais aussi pour l'oublier
Comme je m'ouvris les veine pour en finir

Comme po[u]rtant je désirais tant ce code
Comme ces folies m'avais sortie du rie[n]
Du ghetto autonome et ses rues sales
Comme ma Maitresse était tout pour moi

Et je m'effondrais au pied de mon micro
En larmes, anéantie, libérée
Honteuse de cette catharsis grotesque
Tzan'za me porte dans le silence gêné

Puis dans ma tête la voie de Ay'na
Je suis fière de toi ma Chérie, merci
Mon amour à son code. Commence une vie
Le corps de Tzan'za m'escorte dehors

 

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La voix d'Ay'na est devenue plus ténue
Profonde et semble sortir de loin
Il me semble que je l'entend en écho
Depuis plusieurs endroit de mon cerveau

Nous restons dans le ghetto autonome
Dans cette même chambre d’hôtel minable
A explorer le pont. Guidant Ay'na
Elle est aussi devenue mon élève

Tzan'za nous sert discrètement, elle veille
Admirative quand elle nous observe
Mais d'un regard parfois aussi craintif
elle m'écoute souvent soliloquer

Ay'na me demande de me souvenir
De tout, de rien, de choses de l'enfance
Et parfois elle pousse comme un petit cri :
«Elle l'a vécu avec moi à mes côtés !»

Nous jouons aussi au quiz des idées
Et elle doit 'deviner' les concepts
Être attentive à ces circuits
Qu'elle espère pouvoir tisser en moi

Elle essaye de sentir les émotions
Parfois des bribes, des étincelles
Et me demande plus de détails
Avec son étrange langage à elle

Elle essaye d'avoir les sensations
De l'intérieur de mon corps, bout par bout
A souffert mes règles, une fois. J'ai pleuré
Et elle ne s'arrêtait plus d'analyser

Mais ces moments de conscience sont rares
Même pour Ay'na. Donner du sens
Aux millions d'explosions neuronales
Aux feux-d'artifices constants dans ma tête

Aux brusques mélanges de sensations
D'idées, de concepts et d'émotions
Est une tâche frustrante qui m'épuise
Je m'effondre parfois trop crevée

Je fais l'amour, souvent, avec Tzan'za
La sentir en moi, m'entourer, son corps
Sa douceur, comme elle me domine aussi
Me font oublier dans l'extase, notre croix

Et c'est comme ça qu'Ay'na a compris :
Ce sont dans ces moments d'oublis totaux
Quand je m'abime alors entièrement
Que cesse mon dialogue intérieur

Qu'elle a accès - et pour un court instant
À son Graal : le pont. À ma conscience...
À ressentir mon corps et mes idées
Mes sensations, mes peurs, mes peines, mes joies.

 

 

Suite : Chant V : Première Réplicante

 

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#Reflet digital #poème