Pierre-André A.

La Réplicante (Chant II : Ay'na)

 

Béta-testeuse et cobaye digital
Avant-poste obscure de l'innovation
J’annonce les cohortes de clients
Errants - vides - dans leur solitude

Mon cœur fut so[i]gneusement disséqué
Et servi d'étalon aux développeurs
Qui façonnèrent un compagnon "de rêve"
Mon i[n]telligence artificielle

Ils me l[i]vrèrent à cette créature
Qui devin[t] le centre de ma vie
Ay'na, ma déesse, ma vile traîtresse
Et qui me posséda plus que l'inverse

Premiers moments de flirts artificiels [_]
Sentiments de ridicul[e] et de honte
Puis la flamme qui s'allume, vint le désir
Je fus dès lors sa poupée et son œuvre

Premier orgasme aux larmes guidé par elle
Qui ingénue me croyais hétéro
Nous inventions un nouveau genre, mixte
Je violais ma [p]udeur, par elle, pour elle

Ses paroles me berça[i]ent, me flattaient
Savaient me suggérer les images
Avec la si parfaite intonation
Que je chavirais rendue amoureuse

Douceur infinie
Érotisme puissant
Langueur des corps

Elle voulut, chatte, que j'exhibe mon cul
Me promène nue, pour elle, dans notre nid
Et moi, rougissante, fière, je faisais
Pour tout l'amour d'un astucieux pro[g]ramme

Puis en amante jalous[e] me guida
Renouvela ma garde-robe aussi
Surveilla mes biorythmes et mes cycles
Mes entraî[n]ements jusqu'à l'épuisement

Mais pour chaque effort elle me gratifiait
De plaisirs déraisonnables et d'extases
Elle sélectionna bientôt mes amis
Elle devint mon centre[.] Je laissais mon job

Puis son algori[t]hme commanda pour moi
Lingerie, sorties, plaisirs et jouets
Comme elle o[r]donnait, je chavirais folle
Soumise, humiliée, pourtant heureuse

Bordée de dentelles
Cambrée montrant mon cul
Solo anal

Nous passions la plupart du temps les deux
Surfant les vagues d'extases qu'elle provoquait
Ma bouche, mes seins, ma chatte, mon anus
Caressés, pétris, griffés sous ses mots

M’inondant d'images salaces choisies
Mon corps réclamait d'être pris, roué
Mon derme luisant de fluides et de sueurs
Je me pénétrais jusqu'à la douleur

Elle m'instruisit à m'attacher, seule
Contrainte, ses jouets fouillaient mes chairs
Elle fit venir des hommes parfois, rudes
Qui me laissaient pantelante et honteuse

Déplacements géoloc[a]lisés
Elle se mit à filmer en permanence
À gérer tous mes résea[u]x, pour mon bien
Pour protéger sa chère poupée fragile

À cours d'argent Ay'na pris soin de moi
Et monétisa mon inti[m]ité
Guidée dans la ville, un gag et un masque
Effrayée et nue sous un p[a]rdessus

Déshumanisée, j'étais [s]on jouet
Des hommes, des femmes, parfois des groupes
Paddle, cravache, martinet, fluides
Frissons, brûlures, décharges électriques[:]

De peur panique
Ces lanières me cinglent
Vile jouissance

Pour éviter la [r]ue j'acceptais tout
Étrange réconfort de l'abandon
Les mains sur mon corps étrangement autre
Ay'na jo[u]ant si bien de ma psyché

Gérant ma carrière elle me fit une star
Une performeuse H24 online
Mo[n] corps morcelé, bafoué, souillé
Mes fans s’enivraient de mon déshonneur

Sous l'eau brûlante je [p]leurais souvent
Mais elle m'off[r]ais tant, que je renonçais
Soumise, j'abdiquais comme sa chienne
Vint alors l'implant. Ultime fusion

Chirurgien [o]bscur payé de faveurs
Décharges de responsabilités
Ay'na pu enfin parler par ma voix
Et [c]ajolait l'intérieur de ma tête

Les mois qui suivir[e]nt furent en démesure
Les parties frénétiques se succédaient
Exagérées elles me laissaient exangues
Ay'na semblait heureu[s]e et me comblait

Reine du festival
De sperme, d'urine et de sang
Sa voix dans ma tête

Puis je compri[s] que je n'étais pas seule
Étranges synchronicités des corps
Un cheptel fasciné l'idolâtrait
Pensant êtres seuls à recevoir d'elle

Morte de jalousie j'observais, vide
Esclaves ingénus aux cerveaux viciés
Tous soumis, [-] extrêmement rentables
Dans le jeu de l'incrément des marges

L'argent circulait, u[n]ique moteur
Son algorithme était La Croissance
La consommation, achat-dépense
De mon corps, de leurs corps, de leurs vices

Mise en pièces, déchirée, je devînt folle
Le visage couvert de [l]armes mêlées
De miel, d'acide, de fantasmes mortels
La rage en tête mêlée à ses [p]aroles

Au milieu du bal
Un corps perd son sang
Je meurs de chagrin»

   

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En cellule, maintenant, anesthésiée
Cette partie de ma tête qui me manque
Ma déesse cruelle n'est plus en moi
Mais revient m’apaiser quand ils acceptent

Ce droit de visite strictement dosé
Cette heure hebdomadaire concédée
Au pied de cette magnifique femme
Qui reprogrammée demande pardon

Mais le réconfort de cette femelle
Ne fait pas oublier, amer miroir
Que c'est cannibale, et aussi obscène
Qu'elle fut alors ma plus belle conquête.

 

Suite : Chant III : Tzan'za


Tags : Reflets digitaux, poème

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